Guy Aznar nous fait partager un plaisir de lecture fulgurant.

Peut-être avez-vous omis de lire ce livre de Luc de Brabandère pressés par vos occupations de cadres overtime. C’est grand dommage car ce livre présente deux avantages : il est court (130 pages) et il apporte une fulgurance de plaisir intellectuel comme ces bonbons à la menthe qui vous embrasent de fraîcheur, si je puis me permettre cet oxymore. Il nous parle de philosophie et de « trouvailles » et déjà sans avoir besoin de tout lire vous êtes récompensé dés la couverture.

Philosophie, voila bien ce qui nous manque, emporté par le mouvement brownien de nos occupations futiles. Philosopher, dit-il pour commencer, c’est prendre du recul et cela tombe bien car c’est également la première condition pour trouver des idées, comme le démontrent Kepler, Galilée, Edison et tout le panthéon des inventeurs de notre répertoire dont Brabandère rappelle le parcours ;

De plus, le fait d’employer le mot « trouvaille » est une trouvaille (je répète par plaisir) qui me donne un bonheur intense comme une averse de fraîcheur sur une peau brûlée de chaleur. La trouvaille nous lave de tout le jargon psychotruc qui mélange tout et son contraire depuis des années.

Résumons-nous : la créativité est une aptitude individuelle, comme l’agilité, la dextérité, la vélocité. On peut la mesurer et en faire des courbes de Gauss décoratives et asymptotiques.

Mais ce qui nous intéresse, nous motive, nous excite, justifie notre consommation de matière grise et notre facturation avec valeur ajoutée, ce n’est pas une comparaison de vélocité comme dans un concours d’athlétisme.

Ce qui nous intéresse c’est ce qu’il y a au bout, c’est le résultat, c’est l’objet, la trace, le livrable, c’est « la trouvaille ».

Ouf, nous avons trouvé le mot adéquat : je respire, on parle enfin de l’objet de la créativité et non du sujet créativant.

A partir d’aujourd’hui je veux être consultant en trouvaille ; je veux organiser des colloques de trouvaille, des diplômes universitaires de trouvaille. J’ai enfin trouvé ma vocation (entre nous, il était temps !).

En cours de route, Luc a trouvé une définition du Petit Robert selon laquelle la trouvaille est « le fait de trouver avec bonheur ». Génial ! le grand Luc et le petit Robert, nos copains de ré-création, nous proposent le bonheur.

La 4ème de couverture développe : « tout a été trouvaille : la soie, l’aspirine, la boussole, la chasse d’eau, la boîte de conserve, le morse, l’IPad, le test de grossesse, etc. (j’abrège un peu la description qui n’en finirait pas). Finalement nous avons tout compris entre la couverture et la 4ème de couverture, pas la peine de lire le livre : nous avons le cadre, c’est bien assez.

Précisément Brabandère nous explique que le cadre c’est l’essentiel. Si la créativité c’est sortir du cadre, encore faudrait-il s’interroger sur la nature de ce fameux cadre. Qui dit penser, dit « cadre », on ne réfléchit pas à partir de rien. Les idées naissent en s’appuyant sur un cadre. Il y a quatre catégories de cadres : a) le cadre des connaissances, du savoir ; b) le cadre des croyances, plus résistantes au temps encore que les connaissances ; c) le cadre des représentations, instantanées, immédiates, éphémères ; d) et le cadre des trouvailles qui à la différence des autres constituent une démarche volontaire : « il y a un choix délibéré des construire des images mentales, fragiles,provisoires, jusqu’au jour où … mais oui, euréka ».

Globalement, Brabandère ne nous apprend rien de vraiment nouveau dans ce livre. Nous connaissions déjà la différence entre la déduction qui est logique et l’induction qui est analogique ; l’importance de prendre du recul ; la différence entre le cognitif et l’empirisme ; la différence entre « le concept » cette brique élémentaire qui permet de classer et « la catégorie relativiste » qui est un genre de concept flou que nous appelons « cluster », qui convient bien à la trouvaille ; nous connaissons la différence entre la création, la découverte et l’invention ; nous ne sommes pas surpris par les 7 obstacles à la trouvaille que décrit Bachelard mais j’avoue que j’ignorais les quatre résistances au changement que Francis Bacon appelle « idole » (l’idole de la tribu, l’idole de la caverne, l’idole de la place publique, l’idole du théâtre). S’il ne nous apprend rien de vraiment neuf, (d’ailleurs une idée neuve n’est souvent que la réécriture d’un concept ancien) Brabandère le raconte avec tellement d’intelligence qu’il nous donne l’impression de tout redécouvrir et l’on se prend à sortir un crayon pour écrire en marge comme un étudiant en propédeutique.

Tenez prenez l’exemple du kaléidoscope.C’est une métaphore que j’ai souvent utilisée en animation de groupe de créativité pour faire saisir le mécanisme de l’émergence des idées. Les participants ont collé au mur mille graffitis sortis au fil des exercices, des bribes de rêves éveillés, des dessins, des post-it multicolores comme des confettis de soirs de fête. Vous leur dites : « cherchez une forme dans tout ça ». Et ils sautent comme des fous sur les premières gestallt qui tiennent debout. C’est à ce moment que vous leur dites : « ne vous arrêtez pas là, cherchez encore, et encore… rappelez-vous le kaléidoscope de votre enfance où il suffisait de tourner pour faire naître de belles rosaces colorées…faîtes kaleidoscope avec tout ça pour faire naître d’autres formes d’idées ».

C’est dans Brabandère que j’ai trouvé l’explication de ma métaphore. Notez. Le mot « idée » vient du grec « eidos » qui veut dire « forme ». Kalos veut dire beau. Une belle idée, c’est une « kaloseidos ». Simplifions : nous cherchons tous des kalosidos. Scopein veut dire observer donc je résume : en tant qu’animateurs de groupes de trouvailles nous sommes donc des kalosidophiles et nous apprenons à nos ouailles à ouvrir les yeux sur les kalosidos en faisant tourner sans cesse, avec curiosité, avec passion, avec gourmandise, leur kaléidoscope imaginaire. Evident, mon cher Luc.

 

Guy Aznar
Conseil en créativité