L’existence de parcours mentaux inconscients lors de la production d’idées est connue depuis longtemps : dans les années 1880 Henry Poincaré décrit le cheminement inattendu qui le conduit à une de ses découvertes en mathématiques, « sans que rien dans mes pensées antérieures parût m’y avoir préparé ». André Breton parlera de chemins obéissant « à une cause d’apparence cosmique ». En réalité, comme Laurence Weiskrantz le montra en 1974, notre cerveau est capable d’enregistrer et d’élaborer des informations que nous utilisons même si nous ne les percevons pas au niveau conscient. Cette forme de pensée appelée inconscient cognitif, représente plus de 90% de nos activités mentales et seulement les informations qui nous semblent pertinentes entrent dans la sphère consciente de notre pensée.

Cette découverte justifie a posteriori la règle dictée par Osborn dans les années 30 de ne pas occulter, lors de la phase de recherche d’idées, ce qui nous vient à l’esprit, car pour « folle ou banale » que l’idée nous semble, elle a probablement un lien avec notre recherche, elle peut indiquer une solution ou une voie de solution, exprimée parfois de façon cachée, allégorique, analogique…

Une expérience récente, menée par Charles Limb du National Institutes of Health (NIH – US)(1) en 2008, a permis de visualiser les enchaînements des mécanismes neuronaux lors d’une création artistique. Le résultat est plus qu’étonnant et conforte la pertinence de la règle de la « suspension du jugement », deuxième règle clé lors de la recherche d’idées. Voici l’expérience et ses principales conclusions : des pianistes de jazz ont d’abord joué des pièces n’exigeant aucune imagination, comme des gammes ou des airs mémorisés auparavant. On leur a ensuite demandé d’improviser une mélodie. L’IRM (Imagerie par Résonance Magnétique) a révélé que, avant de jouer une note improvisée, le pianiste désactive la zone du cerveau liée aux actes planifiés et au contrôle de soi(2) qu’il utilise dans le jeu des passages connus. L’artiste inhiberait ainsi ses propres inhibitions, bloquant « les pulsions qui risquent de gêner le flux d’idées », ce qui lui permettrait de créer, activant la partie du cerveau associée à l’expression de soi(3), sans se préoccuper de ce qu’il joue.

L’expression « mettre entre parenthèse le cartésien qui est en nous » se révèle n’être pas si imagée que ça, elle correspond en effet à un mécanisme neurologique que nous produirions individuellement dans certaines conditions. A l’échelle d’un groupe confronté à une recherche d’idées, l’activation de techniques « d’éloignement créatif » permet de construire artificiellement une sphère protégée dans laquelle libérer simultanément et collectivement nos capacités à opérer « la maturation automatique de la pensée par une incubation inconsciente », pour reprendre la description de Poincaré.

Et en même temps les techniques nous aident à suspendre le jugement, car nos inhibitions sont court-circuitées. Ceci afin de nous laisser chercher les notes qui « sonnent bien » sans nous soucier immédiatement du résultat. Un peu comme si nous étions dans une nacelle spatiale qui s’élance à la recherche des nouvelles sources d’inspiration, des nouvelles « muses »(4), loin et à vitesse folle, alors que les mouvements à l’intérieur de celle-ci seront apparemment lents et fluides car « en apesanteur ».

Axes du réel et de l’imaginaire(5) au niveau de la direction de la recherche et modes conscient et inconscient(6) au niveau de la modalité de l’élaboration, voici quatre repères dont tenir compte lors de l’animation de groupes dans lesquels chaque participant pourra se découvrir « plus fort que soi ».

 

Giorgio Milesi
Conseil et Formation en Management Créatif d’Equipes

(1) SEED – Creation on Command – What we know / by Jonah Lehrer / may 6, 2009
(2) cortex préfrontal dorsolatéral
(3) parallèlement l’IRM a enregistré un pic d’activité dans le cortex préfrontal médian
(4) Isabelle Jacob
(5) Guy Aznar – Idées – Editions de l’organisation
(6) Gianni Clocchiatti – Creatività per l’innovazione – Ed. Franco Angeli