Une expérience de créativité contée par Giorgio Milesi
C’est une histoire à propos de… ?
Des règles de fonctionnement des séances créativité, plus spécialement la première qui est celle de la suspension du jugement : ne pas censurer, ne pas juger, et, ce qui est plus difficile encore, ne pas se censurer, ne pas se juger.
Dans quel contexte ?
Une recherche créative concernant un agencement d’espace ; on travaillait notamment sur un linéaire qui permettrait de créer un parcours au sein de cet espace. J’animais une session créative d’une journée ; certains participants n’avaient fait jamais de créativité auparavant, d’autres étaient plus expérimentés. Nous avions fait une petite formation à la créativité le matin, l’après-midi nous étions en train de travailler sur ce linéaire…
Racontez-nous la scène…
A un moment donné, je m’adresse à une fille qui, un peu timide, restait silencieuse : « Tu as quelque chose en tête, dis-nous ce à quoi tu es en train de penser ». Elle me rétorque : « Euh… mais il ne faut pas dire n’importe quoi… ». Je luis rappelle la règle de suspension du jugement : « Si, justement, il faut dire tout, tout ce qui traverse l’esprit ». Elle me répond alors en rougissant : « Et bien là, maintenant, je pense à une aile de pigeon… je ne vais quand même pas le dire !! ».
Cette idée d’aile de pigeon lui paraissant complètement à côté, absurde, elle ne voulait pas en parler.
Le groupe a rebondi sur ce thème, on a travaillé sur la forme d’une aile de pigeon quand elle est pliée, dépliée… et cela nous a beaucoup aidé pour l’avancement de la recherche de solutions ; jusqu’à présent nous étions sur des formes rectangulaires, classiques, comme à l’origine, et personne n’avait pensé à la possibilité de varier les angles.
Cette participante avait une idée, elle n’arrivait pas à la quitter et en même temps cela l’empêchait de dire, penser autre chose ; or le fait de ne pas la dire aurait privé le groupe d’un stimulus important.
Pourquoi cette expérience vous a marqué ?
Cela m’a frappé car cela montre comment une idée que l’on pourrait subjectivement considérer comme inutile et non productive permet en réalité aux autres de rebondir, d’enchaîner, de casser un mécanisme, une contrainte implicite que l’on s’était donnée et de partir sur autre chose ; dans notre cas c’était la forme que l’on avait gardée de manière implicite rectangulaire. La réaction de tous était une grande surprise : pour ceux qui avaient déjà bien intégré les règles, cela a permis de montrer qu’il ne faut jamais rien censurer ; pour les autres, de « déchaîner » leurs idées et de progresser plus vite.
Qu’en avez-vous tiré pour votre pratique ?
C’est une histoire que je reprends dans les formations, comme un exemple illustrant l’importance de ne pas censurer ses idées et, bien entendu, celles des autres, en cherchant une posture « comment puis-je tirer quelque chose d’utile pour mon problème de ce que j’entends … ».
C’était aussi pour moi une révélation sur le fait, en tant que facilitateur, de mettre les personnes en situation de vraiment lâcher les choses qui traversent leur esprit.
Notre subconscient est plus fort que nous, il élabore des choses dont nous n’avons pas conscience.
Le fait de ne pas raconter ce qui nous passe par l’esprit censure le cheminement des idées et prive les autres de stimuli pour rebondir ou changer de direction.
Les voies de la naissance d’une idée sont infinies et lorsqu’il y a un petit chemin, un sentier qu’on entrevoit, il faut le suivre sans peur ; s’il n’amène à rien, ce n’est pas grave, on en cherche un autre ; mais c’est peut-être celui qui nous amènera vers de nouvelles idées inattendues…
Giorgio MILESI