Synthèse rédigée par l’équipe de la Lettre Créa-france

Installez-vous confortablement, respirez, soufflez et ouvrez une parenthèse pour découvrir trois modes complémentaires d’appréhension du temps permettant à la créativité de s’exprimer… Guillemette Goglio, Mathilde Sarré-Charrier et Isabelle Talbert-Paris ont chacune approché et expérimenté une de ces notions proches, dans le cadre du certificat Créa-Université.
Elles ont animé une belle conférence à 3 voix sur leurs travaux ; elles nous ont offert en cadeau surprise une séance de lâcher-prise collectif grâce à des techniques de sophrologie.

Pourquoi ces 3 notions ?

Nos représentations se nourrissent des histoires du passé comme des attentes et craintes vis-à-vis du futur. Or inventer de nouvelles solutions implique de dépasser nos blocages, nos peurs, nos idées préconçues (dépasser nos représentations actuelles) en ouvrant une parenthèse de liberté, un espace privilégié « ici et maintenant ».
La créativité pour s’exprimer dans cet espace, nécessite de lâcher prise, du temps, de la lenteur, du flou.

Le lâcher prise pour être créatif

Isabelle Talbert-Paris a exploré cette notion au travers d’écrits d’auteurs de référence, et d’entretiens menés auprès de praticiens et professionnels de la créativité exerçant dans le contexte de l’entreprise et dans celui du développement personnel.

Nos graines d’idées qui demandent à germer sont entravées par des contraintes telles le jugement, la critique, l’éducation, les normes, l’attitude d’expert… Psychologiquement, le lâcher-prise est une action qui consiste à arrêter de s’interdire ou de s’obliger à être ou à faire.

En créativité appliquée à l’entreprise, le lâcher-prise est un état émotionnel qui doit se vivre à l’instant présent. Dans un groupe, il survient dans un contexte de mise en confiance et de climat de bienveillance. Il permet une prise de risque : accepter de révéler son enfant intérieur offre un levier puissant pour la créativité.

Les méthodes de créativité de la posture dite « sensible » font appel à la sensibilité émotionnelle pour permettre le jaillissement des idées, à travers la lenteur, le flou, l’intuition. Les techniques employées impliquent de pouvoir lâcher prise : techniques projectives, d’immersion, graphiques, rêve éveillé,…
Les méthodes de créativité plus dynamiques, comme celles issues du Creative Problem Solving, nécessitent aussi un certain lâcher-prise : en phase de production d’idées (divergence) à travers un rythme soutenu et ludique, et en phase de convergence avec l’acceptation de renoncer, mettre ses frustrations de côté.
En créativité appliquée au développement personnel, le lâcher-prise consiste à sortir de nos schémas habituels et des grilles de lecture de notre cerveau gauche ; à s’abandonner, à dissoudre les agrippements, pour laisser la place à notre être profond et à libérer son potentiel créatif.
In fine, tous les professionnels ont pu mesurer la fertilité du processus créatif en lien avec le lâcher-prise.

Eloge de la lenteur

En guise d’ouverture une citation de Milan Kundera nous a interpellé : « ll y a un lien secret entre la lenteur et l’oubli ».

Guillemette Goglio a investigué l’importance de la lenteur au moment de la convergence dans les séances de créativité.
La tentation lors d’une séance est de passer plus de temps en phase de divergence (la production des germes d’idées) qu’en phase de convergence (le tri, la sélection, la construction des idées) ; la phase de production est en effet souvent ludique ; tandis qu’en convergence, le groupe a moins d’énergie, il faut faire des choix, c’est moins ludique.

Guillemette a monté une démarche méthodologique comparative en réalisant 2 séances de créativité sur le même sujet (un sujet prospectif télécom sur les objets communicants) comportant :

  • en phase de divergence : exercices, et durée identiques
  • en phase de convergence : des exercices identiques sur des durées différentes (45 mn dans un cas et 2 h 10 dans l’autre) ; avec une phase intermédiaire intercalée « d’émergence » des idées

La production créative dans les 2 séances consistait en saynètes (sur des usages actuels et projetés dans le futur) et en conception de ‘boards’. Les séances et les productions ont été évaluées par un collège d’experts en télécom, en fonction des critères d’originalité et d’adaptabilité aux contexte/objectifs.
Les experts ont évalué la production et ont conclu que le groupe le plus long avait produit plus d’idées créatives, y compris en faisant émerger des secteurs d’idées nouvelles qui n’étaient pas apparues dans les groupes les plus courts.

Du flou naissent les idées

Qu’est-ce que le flou ? Ce qui est imprécis, vague, dont les contours n’apparaissent pas nettement.
Le flou est parfois perçu de manière négative alors qu’il permet à des idées originales, un peu fragiles, d’éclore.
Mathilde Sarré-Charrier a également utilisé une technique comparative en réalisant 2 séances de créativité sur la même recherche (prospective en télécom), l’une basée sur une méthode précise, l’autre floue :

  • Même séquençage et durée des ateliers/exercices pour les 2 séances ;
  • Mais des approches différentes comme par exemple
    En divergence : écrire directement les pistes d’idées sur des post-it individuels en méthode précise ; à l’inverse, en méthode floue, il est préconisé de différer l’écriture par les participants via une prise de notes par les animateurs au paper board.

Intercaler une phase « d’émergence » pour faire transition entre divergence et convergence et arriver crescendo sur cette dernière en méthode floue.
En phase de convergence, faire des classements d’idées avec plus de liberté, sur la base des thèmes perçus comme importants par les participants.
Une comparaison quantitative, puis par des experts pour évaluer la production issue des 2 méthodes a montré que la méthode floue produit plus d’idées, des idées plus originales, et plus d’idées flexibles issues de croisements entre plusieurs catégories.

Cette approche permet :

  • D’éviter en phase de convergence d’aboutir à des concepts banaux en sélectionnant les idées les moins inattendues, les moins futuristes (cf le Créadox de Marc Raison, Igor Byttebier, Guy Aznar) ;
  • En laissant son esprit flotter, en se laissant divaguer, de faire des croisements plus improbables et donc plus riches ; d’aboutir à des idées multicatégorielles.

« L’avenir est fait de secteurs qui s’entremêlent » (Mathilde Sarré-Charrier).

En conclusion : 3 notions, lâcher prise, lenteur, flou, qui nous obligent à suspendre le temps et nos représentations toutes faites pour rendre la créativité plus fertile.
Merci à Guillemette, Mathilde, et Isabelle pour ces riches échanges…