« Tout art tire son origine d’un défaut exceptionnel » affirmait Maurice Blanchot. Ce qui fait la propriété unique de l’art c’est de formuler que les pires défauts, les pires angoisses, les pires choses sont une force constructive, force à déplacer les montagnes.
Pourquoi explorer le registre de l’art contemporain ?
Parce que, depuis Duchamp et l’émergence de l’art conceptuel, les critères d’appréciation ont changé et les artistes ont imposé à leurs observateurs et critiques des œuvres plus interrogatives qu’affirmatives.
Dans l’art contemporain, l’exploration de l’espace mental, conscient et inconscient, objectif et subjectif, prend une place de plus en plus importante.
Simultanément, certaines conceptions philosophiques et scientifiques récentes, ce qui se développe en art, avancent que le travail de la dimension mentale favoriserait une nouvelle fluidité entre intérieur/extérieur, entre individu et environnement. La fonction de la représentation mentale, à l’origine de toute création, assurerait la coexistence de l’individu et de ses mondes.
Cet intérêt pour l’exploration mentale recoupe des enjeux majeurs relatifs à l’évolution de notre rapport au monde. Le monde existe matériellement et physiquement et est déterminé au préalable par nos représentations mentales.
L’œuvre d’art assurerait une fonction organique, métabolisant notre relation à l’inconnu, à l’indéterminé dans des formes hybrides, nouvelles. Pour certains ce serait un facteur de survie de l’espèce.
Si on regarde le cerveau humain comme une galaxie méconnue ?
« Notre monde, en devenant un immense cerveau au lieu d’être tridimensionnel, élargit considérablement le monde réel. La conscience, l’illusion deviennent entrelacées si intimement qu’il devient difficile de dire qui est qui et qui fait quoi ? » (Andrei Linde : théoricien de l’inflation chaotique de l’univers)
Notre cerveau est en perpétuel remaniement comme le processus artistique. La plasticité cérébrale est un sujet d’inspiration chez les artistes, car cela fait référence au renouvellement organisationnel de réseaux, de neurones, en fonction des expériences vécues.
La recherche a démontré que cette plasticité du cerveau est la clé de voûte de nos apprentissages, qu’elle se présente comme un jeu complexe de montages et démontages.
La boite à outils : les émotions, l’empathie, le précablage génétique, la transmission des idées, l’analogisation, sont des pistes exploitées pour aborder le phénomène de la création artistique.
L’empathie est vecteur de communication émotionnelle : plus nous sommes sensibles à nos émotions, plus nous sommes capables de communiquer de l’empathie, plus nous développons notre intelligence émotionnelle.
C’est ce qui se passe dans une expérience artistique : l’œuvre projette un ensemble d’émotions figées dans la matière et crée des relations entre les personnes et l’œuvre.
L’art est une expérience émotionnelle unique.
L’art est le cadeau de l’expérience unique de la vie. L’œuvre d’art n’est jamais le résultat de pensée d’un individu isolé : l’artiste est le récepteur de multiples informations et son œuvre en est la synthèse. L’art est communication, entre mots et images, entre pensées. L’art est reliance entre personnes, entre savoirs qui s’échangent, se confrontent, s’interpénètrent pour tisser une toile culturelle faite de liens visibles et invisibles.
Nous sommes tous comme des neurones d’un cerveau gigantesque, nous constituons des unités personnelles d’un cerveau intelligent, global.
Ce que Teilhard de Chardin appelait la noosphère et que Joël de Rosnay nomme le cerveau planétaire, d’autres le cerveau social.
L’artiste parle de métanoïa : méta = au-dessus et noï = état d’esprit, ce qui revient à parler de changement d’état d’esprit, aborder les mutations, le changement, tout ça souvent inspiré par un intuition collective.
Se sentir relié, c’est expérimenter l’interdépendance, faire dialoguer des disciplines entre elles, oser la défragmentation pour créer un sens nouveau, un sens partagé, une vision globale.
Aujourd’hui, la démarche de certains artistes peut inspirer les organisations vivantes de notre société et nous donner des pistes de réflexion pour oser le futur.
Fabrice Hybert, par exemple, est quelqu’un qui œuvre sur la matière à penser ; il a observé les cellules souches et leur transformation en collaboration avec des scientifiques. Scientifiques et artistes collaborent autour d’un thème annuel. C’est une approche innovante, évolutive.
Hybert dit : « Une cellule souche se transforme une seule fois ; un bon artiste, lui, doit pouvoir changer en permanence. S’il n’évolue pas, il se sclérose et meurt ».
Chaque œuvre de Hybert est conçue comme une étape d’un procès sous la forme d’un gigantesque rhizome, dont les articulations naissent pour créer de nouveaux liens tout en représentant la prolifération de la pensée.
Olivier Goulet est artiste multimédia au croisement de l’activisme et du design humain. Il examine le corps affectif et décrypte le principe d’identité, interroge nos ancestrales problématiques humaines et en vient à constater que l’homme d’aujourd’hui n’est pas abouti. Etre de relation avant tout, il nous invite à sortir d’une vision égocentrée douloureuse pour une optimisation relationnelle collective.
Il utilise plusieurs médias comme le plâtre, le latex, le texte, la photo, vidéo et il digère via l’ordinateur des propositions, qu’il soumet à ses contemporains.
L’homme est-il en voie de disparition ?
Bruno Peinado fait subir aux signes, aux objets, aux images, des altérations imperceptibles les détournant de leur fonction première ; il brouille les pistes. Son travail est en perpétuel mouvement, évoquant ce qu’il nomme « la poétique du chaos ».
Il a réalisé une sculpture cerveau qui est un casque, œuvre symptomatique de la difficulté à aimer notre univers mental prolifique.
Réinventer le futur : pour de nouveaux imaginaires.
Un collectif d’artistes dont Yan Fabre s’interroge sur les mutations, et le cerveau est au centre de ses intérêts. Symbole de l’intelligence, réalité physique et psychique, le cerveau est l’organe le plus important et pourtant le plus méconnu… Un artiste exposé au Neo Futur a travaillé sur la représentation humaine à partir de l’homonculus cérébral.
Ce qui permet de rapprocher artistes et managers contemporains, c’est l’ouverture maximale sur le monde, aller au devant de l’autre, développer réactivité, écouter plus largement, écouter son imaginaire « sortir de son cocon » comme dit l’artiste chinois ChenZen, et enfin apprivoiser le chaos : savoir concilier ordre méthodique et désordre créatif.
La dynamique créative, la libération des initiatives individuelles au sein d’une entité collective, l’implication dans l’action concrète : voici trois dimensions qui sont communes au manager et à l’artiste.
L’art contemporain n’est pas un art d’aujourd’hui, c’est un art en avance sur le présent. Un art qui fait vaciller nos visions et nos pensées, en inventant des formes, des dispositifs de visions futures, qui résonnent dans le monde et esquissent les devenirs.
Catherine CARRÉE
Consultante Coaching et créativité par les Arts – Facilitatrice en stratégies créatives