Emotions d’Inde

Terres de paradoxes et de contrastes où le meilleur côtoie le pire : un exercice de flexibilité mentale et de stimulation de l’imaginaire…
Pays des Maharajahs avec leurs éléphants chatoyants, qui hantent ça et là des palais époustouflants.
Pays des Sâdhus, ermites des montagnes, qui nous plongent hors du temps et de la réalité.
Mais aussi pays de la modernité, des mégalopoles étouffantes, embouteillées, avec leur mendicité enfantine : éprouvante, émouvante…
Les castes sont toujours là qui fonctionnent en sourdine : pas de revendication, chacun a sa place…résignation ?
Les vaches sacrées qui déambulent paisiblement avec arrogance, marquent toujours leur territoire odorant parmi les offrandes fleuries : stupéfaction ?
Européens de l’Ouest, souvent pessimistes : on reste perplexe !
Et là encore, des femmes admirables, belles, envoilées de saris multicolores et vaporeux, dignes même dans leur pauvreté : on reste fasciné !
Une leçon de vie, d’harmonie, de tendresse, de spiritualité : Un pays qui se laisse aimer,

… Et dont on revient moins innocent…

Photo de Danielle Guillot

L’Inde, berceau de créativité…

Voici une terre où ces multiples contrastes ou apparentes contradictions semblent agir comme autant de frictions constructives d’où jaillissent des étincelles de créativité qui s’enflamment.

Et si l’Inde était le berceau de la créativité, le sol sur lequel les opportunités fleurissent ?
Car l’Inde, c’est aussi la production créative à foison dans les domaines très variés : autant économiques que culturels, voire même plus intimes…
L’Inde, c’est en effet d’un côté l’expertise IT croissante de la région de Bangalore pour laquelle le gouvernement nourrit l’ambition de surpasser la Silicon Valley.
C’est aussi une production cinématographique qui s’affiche comme la première mondiale et est un fleuron en matière de créativité. Car la promesse des films indiens – estampillés Bollywoodien ou non – est audacieuse : ils offrent une expérience holistique. En associant des scènes jouées, de la danse, du chant, le tout entrecoupé d’un entracte, sur une durée de 2h30 à 3 heures, ils mêlent habilement ce qui, en Occident, est généralement séparé par des frontières et codifications strictes (à savoir le cinéma, le théâtre, la danse et le chant). Ici qu’importe la règle du quatrième mur, le simulacre du mythe de la caverne, ou la séparation des genres, tout est permis : la comédie côtoie la tragédie comme le conte de fée, sans complexe.

Pour comprendre et vivre l’Inde, peut-être faut-il se plonger dans la tragédie du film Mother India, de Mehboob Khan pour en saisir la vitalité, la ténacité à se réinventer. À le voir, on se dit que Balloo du Livre de la Jungle a raison : « il en faut peu pour être heureux… »

D’où vient ce goût à la fois pour la catharsis, la profondeur, la spiritualité ou les histoires d’amour  et les connexions inattendues ? Prennent-ils racine dans les récits épiques fleuves que sont le Mahabharata, le Ramayana, ou les légendes séculaires ?
Est-ce un hasard si la flexibilité – et dans une certaine mesure la tolérance –  y ont construit leur nid et que l’Inde est le foyer de cohabitation de 3 des principales religions du monde (Hindouisme, Bouddhisme, Sikhisme), et d’une médecine ayurvédique holistique basée sur la croyance en 5 principaux éléments (eau, terre, feu, air, espace)…?

En écoutant un raga indien (un morceau de musique construit autour d’un thème sur lequel les musiciens improvisent tout au long du morceau) ou les scats vocaux indiens, la conviction se précise : l’Inde pourrait bien être le berceau de la créativité. Flexibilité, adaptabilité, improvisation y sont profondément ancrés.

S’inspirer de l’Inde pour envisager la créativité autrement, c’est ce que nous susurre à l’oreille Hermann Hesse dans son livre Siddhârta :

Quand on cherche, reprit Siddhârta, il arrive facilement que nos yeux ne voient que l’objet de nos recherches, on ne trouve rien parce qu’ils sont inaccessibles à autre chose, parce qu’on ne songe toujours qu’à cet objet, parce qu’on s’est fixé un but à atteindre et qu’on est entièrement possédé par ce but. Qui dit chercher dit avoir un but. Mais trouver, c’est être libre, c’est être ouvert à tout, c’est n’avoir aucun but déterminé.

Et si vous doutez encore de la puissance créatrice de l’Inde… pensez au Kama Sûtra… n’est-ce pas une magnifique phase de divergence ?…

Puisque la décence ne nous permet pas de pousser plus loin la démonstration visuelle de ce dernier exemple, délectez-vous au moins d’une riche parenthèse musicale où Zakir Hussain & John Mc Laughlin nous font la joie de faire rencontrer L’Inde et l’Occident au festival de Jazz de Vienne pour leur album Remember Shakti :

… et centre de l’innovation sociale

« Innovation » et « social » sont deux mots entrelacés en Inde par :

  • les besoins sociaux énormes: 1,2 milliards d’habitants ; environ un tiers de la population vit au – dessous du seuil de pauvreté nationale ; les inégalités se sont creusées depuis l’accélération de la croissance ;
  • et les richesses humaines foisonnantes : 1,2 milliards de potentiels créatifs, une diversité de régions, de cultures…

L’innovation sociale est « bottom up » : elle est le fruit des initiatives des habitants eux-mêmes et des entrepreneurs sociaux qui partent du terrain.

Le Jugaad se définit comme la capacité d’improviser une solution ingénieuse, flexible et efficace dans un contexte de ressources limitées et de fortes contraintes. Des chaussures en bouteilles recyclées, des triporteurs bricolés avec un avant de moto et un vieil arrière de camionnette, ou une pompe à eau en moteur de mobylette sont quelque uns de myriades d’exemples « bricolés ».

L’Inde se mobilise pour créer des solution BoP, c’est- à-dire pour la « Base of the Pyramid », la population la plus pauvre, en suivant le principe de frugalité : des produits peu coûteux, rapides à élaborer, peu impactants en termes de ressources (et donc écologiques).

Cette vitalité touche aussi les problématiques santé qu’il s’agisse d’inventer un système de consultation à distance en utilisant un réseau satellite existant ou de faire des prothèses accessibles à tous.

Anil Gupta a développé la Grass Roots Innovation, innovations prenant « racines » dans le monde paysan. « Les pauvres ne sont pas au bas de la pyramide du savoir, de l’éthique ou de l’innovation » nous dit-il. Partant du principe que sur une même problématique, par exemple porter de l’eau, de multiples idées ont été trouvés par les paysans, il propose : d’abord d’en formaliser la meilleure solution issue de toutes ces expérimentations puis de la renforcer par une recherche et développement légère en général portée par des étudiants (voir la conférence de Marc Giget/Les Mardis de l’innovation). Gupta a également fondé un réseau de pollinisateurs d’innovation, Honey Bees, avec une web plateforme qui recense une constellation de solutions émanant de fermiers, d’étudiants, d’entrepreneurs, d’associations…

Un système optimisé pour porter l’eau dessiné par Vikram Dinubhai Panchal

Le prochain enjeu pour l’Inde sera maintenant de changer d’échelle pour répondre à ses colossaux besoins.

Ce défi  passera sans doute par une coopération accrue entre le gouvernement – déjà engagé dans « Inclusive India » (un développement qui n’exclue personne) – les entrepreneurs sociaux, et  les plus grandes entreprises du pays : « Nous sommes au début d’un processus où entreprises sociales, multinationales et gouvernements apprennent à travailler ensemble » (Vineet Rai citée par Anita Kirpalani pour Youphil).

De nouveaux exemples à venir de co-innovations?

Article réalisé à 6 mains par Danielle Guillot de retour d’Inde, Catherine Tanitte et Sylvie Sesé qui ont voyagé à distance.