Une interview réalisée par Sylvie Sesé pour l’équipe de la Lettre Créa-france

Albertine Meunier utilise le réseau internet comme matériau artistique. Familière avec la technique de par sa formation (ingénieur en optoélectronique), elle pose dessus son œil original d’artiste pour créer des œuvres qui parcourent les mondes numériques et matériels.

Porter un nouveau regard

Le support de diffusion devient lui-même un matériau artistique

« J’ai commencé par mettre des collages en ligne ; au début, internet me servait de mise en forme d’espace public. Au fil des années, je ne l’ai plus utilisé comme espace d’exposition mais comme espace de création, de matériau dans les pièces artistiques ; je récupère des matières, c’est-à-dire des images, vidéos, flux ; je les transforme, je les mets en scène autrement. »
« La tendance chez quelques artistes qui travaillent avec le réseau, est maintenant de sortir du net, de montrer les objets qu’ils fabriquent non pas à travers un écran d’ordinateur mais à travers des projections, des objets ; de rematérialiser le réseau ; l’internet devient une vraie matière. »

Le regard poétique et humain croise la vision technique

« J’ai une connaissance qui me permet de comprendre des objets techniques ; j’essaie toujours de voir ce qu’il y a derrière comme si je démontais une montre.
Je tente d’avoir une vision moins machiniste d’internet, moins technologique, moins utilitaire ; de montrer qu’il peut y avoir une poésie si on le regarde autrement.
Si l’on observe comment une machine est fabriquée, on peut y remettre du rythme humain ; la poésie se dégage en ayant un point d’observation ; un disque dur est juste un disque dur mais si je pose mon regard à l’intérieur, je vois autre chose ; je suis touchée au départ et je vais travailler dessus ; il faut arriver à zoomer, biaiser, concasser. »

Le processus créatif : l’éponge, la croissance organique, la décantation puis la cristallisation

« Je suis très curieuse, je lis beaucoup de livres, de journaux, je parcours internet, je m’imprègne de nombreuses choses. C’est par croissance organique ; ce peut être une phrase, un entrefilet, une photo… cela relève du vagabondage. C’est un peu désordonné, cela ressemblerait plus à un scrap book mental. »
« Je vais avoir un petit ‘ah’ dans la tête, je ne vais pas forcément le formaliser, je le garde dans ma tête, ce sont tous les vagabondages ; puis cela se cristallise, les ‘trucs’ qui doivent s’accrocher ensemble s’accrochent. Je vais avoir plein d’éclairages différents ; la conjonction de tous ces éclairages fait qu’à un moment sans pouvoir l’expliquer, je me dis c’est cela qu’il faut faire. Je ne sais pas d’où cela vient, je suis en mode éponge et tout d’un coup des croisements se font. Cela peut être assez long, ou très rapide. »
« Par exemple, je m’intéresse à l’objet « engrenage », je ne sais pas encore ce que je vais en faire ; je vais potasser des livres ; de l’engrenage je remonte à la roue dentée, puis sur sa fabrication ; je vais voir où il y a des roues dentées dans nos vies d’aujourd’hui ; comme je m’intéresse à internet, je vais m’intéresser au disque dur et je vais me poser la question qu’est-ce qui est mécanique dans un disque dur ? Il y aussi de l’observation, je vais démonter, je peux découper des éléments, les mettre ou non dans un cahier, faire des dessins »

Pour créer : accepter le flou, avancer par essais erreurs

« Il y a un ‘temps’ où l’on doit lâcher prise, cela peut être angoissant ; il faut accepter de ne pas savoir tout maîtriser ; et que le résultat ne soit pas forcément à la hauteur de ce l’on pouvait imaginer ; accepter qu’il y ait beaucoup de ratés : revenir, repartir par essais erreurs.
C’est comme si l’on était un peu perdu dans une ville. On peut passer des heures à arpenter, s’arrêter sur un banc, puis finalement repartir et se dire ce n’est pas grave ».

Différer son jugement, être dans le faire

« Naturellement on se met en autocritique et l’on se dit « il faut que cela soit bien » ; mais lorsque on se met en autocritique, le résultat n’est pas là. Lorsque l’on est dans le faire et non pas dans la subjectivité du faire, on ne se pose pas la question ; c’est comme lorsque l’on marche, on ne se pose pas la question ‘est-ce que je marche bien ?’, on avance. »

Concrétiser et déposer sa création pour pouvoir passer à une autre création

« Lorsque l’on crée, on souhaite enchaîner, on veut passer d’une création à l’autre ; tant que ce n’est pas terminé on ne peut pas le faire.
Lorsqu’il n’y a pas d’objets physiques matériels à stocker, c’est plus facile, on n’est pas encombré d’objets qui nous envahissent si on n’arrive pas à les montrer dans une galerie.
Avec internet, il y un espace virtuel parallèle où l’on peut stocker des choses ; cela aide, on n’est pas bloqué, cela permet au flux mental de continuer de penser ; c’est le principe de l’atelier virtuel, on les mets dans un coin. Lorsque l’on souhaite les en sortir, au moment où les gens sont prêts à les regarder, on peut alors le faire… »

Pour en savoir plus sur le travail et les œuvres d’Albertine, vous pouvez consulter son site Internet.