Les vestales étaient les gardiennes du feu sacré, en l’honneur de Vesta (Hestia), déesse du foyer portant la flamme et la corne d’abondance. Si le feu sacré s’éteignait, les vestales étaient condamnées à mort.

J’aime à utiliser cette expression « avoir le feu sacré ». Quand je sens en moi « le feu sacré », alors je me sens dans un état d’abondance d’énergie, d’abondance d’idées, d’abondance de projets, d’abondance de « sérendipité » et de synchronicités. Une sorte de « flow » où tout circule à merveille, où toute l’énergie est disponible pour entreprendre, pour créer, pour inventer – Même le temps semble se dilater pour laisser place aux imprévus bienheureux, aux rencontres riches, aux lectures inspirantes qui comme par hasard répondent aux questions que je me pose – Tout est à la fois léger, simple, intense, passionnant, amusant. Rien n’est fait dans l’effort. Les événements semblent s’emboiter naturellement, et dire oui à mes envies, à mes désirs. Je me sens « alignée », ancrée, dans un état de grâce, alerte et juste. Dans mon authenticité. Mes antennes me guident, mon intuition est en pleine forme.

Il m’est arrivé de perdre le feu sacré : tout devient alors pénible, j’hésite, je me lève avec difficultés le matin, j’entreprends les choses avec effort, le moindre coup de téléphone devient dérangeant, les événements semblent se liguer contre moi, les personnes aussi, rien ne va plus . L’énergie n’est plus là, le plaisir non plus. Etat dépressionnaire, tourbillon vers le bas, lunettes sombres sur la vie.

Il faut parfois du temps pour réaliser cela. C’est sournois, la braise s’éteint à petit feu, et un beau jour on se réveille pour constater qu’il n’y a plus de jus.Tout est désillusion, tout semble vain Rien n’a de sens. Le feu sacré s’est éteint. C’est comme une petite mort.

Chaque fois que mon feu sacré s’est éteint, j’ai tenté d’en analyser les causes : ennui, répétitions, habitude, peu de nouveautés, peu d’apprentissages, peu de défis, peu de nouveaux projets. Pourtant, j’exerce un métier où, par définition, aucun jour ne peut ressembler à la veille : nouveaux clients, nouveaux stagiaires,…et pourtant, … rien de palpitant : je m’adapte à ces petits changements, en rechignant d’ailleurs car ces petites adaptations me coûtent, cela serait si simple si c’était toujours la même chose : pas d’effort à faire. C’est comme si je faisais du sur place. L’impression de ne pas avancer, de tourner en rond. Je réalise alors que les actions que je mène, qui un jour, il y a quelques 4 ou 5 ans, m’apportaient le feu sacré, ne sont plus en phase avec mes désirs profonds. Et oui, on bouge avec le temps, et le désir aussi! Ce qui était excitant il y a 5 ans devient routine aujourd’hui, du « déjà vu », expression française reprise telle quelle en anglais américain.

Dès lors, se reposer la question de son désir : où j’en suis aujourd’hui ? Qu’est ce qui me ferait vibrer ? Qu’est-ce qui est important à mes yeux ? Qu’est-ce que j’ai envie d’apprendre ? Dans quoi je m’amuserais ? Vers quoi ai-je envie d’aller? qu’est-ce qui m’attire? Se poser et accepter cette petite mort pour renaître.

Alors émerge une étoile, un rêve, une envie, une en-vie qui d’un coup me donne un coup de fouet, une aspiration, une sorte d’ « attracteur étrange » qui commence à me faire sortir du magma, et se dessine peu à peu une nouvelle vision de ce que j’ai envie de creuser, ce vers quoi orienter mon énergie.

En un rien de temps, c’est reparti ! Je sens le « feu sacré » se rallumer, et un nouveau cycle fécond m’entraîne dans sa traîne. Et me revoilà pleine d’énergie, le sourire aux lèvres, pleine d’entrain pour affronter de nouvelles aventures, pour soulever les montagnes devant les difficultés, me challenger, entreprendre des choses nouvelles, aller au devant de ce que je ne connais pas encore, rebondir, m’étonner, apprendre, rencontrer d’autres gens… Alors je sens dans toutes mes cellules une puissance de pensée, d’action et de lien à moi, aux autres et à l’instant présent, une force qui me pousse en avant, et cette abondance qui commence à circuler, naturellement, sans efforts. Je me sens alors intensément vivante. Et comme par hasard, ce qui se présente à moi, et ceux qui se présentent à moi vont exactement dans la direction nouvelle que je viens de prendre!

Je relisais récemment mon parcours professionnel devant des étudiants en attente de témoignages sur des parcours atypiques, et je leur expliquai mes changements d’aiguillage au cours de mes 34 ans de « carrière » , quand tout à coup, en leur parlant, me vint à l’esprit que chaque fois, c’était quand j’avais besoin de retrouver le feu sacré. Je fus étonnée de l’écho que cette affirmation eut en eux. Comme un appel à la vie et non à la raison.

Alors je ne peux m’empêcher de relier la créativité à cette recherche du feu sacré. Et si c’était cela ? et si la créativité et l’innovation avaient finalement non seulement pour effet mais pour vocation de permettre à chacun de trouver et retrouver son feu sacré . Et si l’innovation au sein des institutions n’avait pas fondamentalement ce but : permettre à l’organisation de retrouver son feu sacré, comme condition essentielle de sa survie, de nos survies.

En ces temps de désillusion, pire, de malaise profond de beaucoup, de dépressions majeures camouflées par des tonnes d’antidépresseurs, on ne peut que lire la perte du feu sacré, c’est à dire la mort, lente, petit à petit.

Et si les risques psycho-sociaux n’étaient pas le symptôme d’une perte de feu sacré?

Et si, au lieu de proposer des stages anti-stress, qui ne font que mettre un pansement sur des plaies ouvertes ou renforcer la sur-adaptation à une mort à petit feu, on se donnait comme objectif de redonner à chacun sa puissance créative?

Et si on se donnait comme défi que chacun vienne à son travail avec ce feu sacré qui fait soulever tant de montagnes?
Et si cela commençait à l’école? Imaginons écoliers, collégiens, lycéens, étudiants, enseignants, proviseurs avec le feu sacré! Les enfants de maternelle l’ont bien, pourquoi le perdent-ils si vite dès leur passage à la « grande école »?
Il est temps de rallumer le feu.

 

Isabelle Jacob
Consultante-formatrice en créativité depuis 25 ans, cofondatrice et membre du bureau de Créa-france, directrice du Centre Iris de Formation à la Créativité